L’indicible mystère de la création…

L’indicible mystère de la création…
Tous ceux qui ont tenté de le percer ont échoué, car il est et demeurera à jamais inviolable.
Je le considère comme une singularité inhérente à l’espèce humaine.
Peut-il, cependant, être dépeint ?
Je crois cela possible.

Les territoires de la pensée, de l’imagination et de la volonté de créer une image sont bien différents du champ d’action de sa réalisation. Peut-être conviendrait-il de dire : de son objectivation.
Les gestes vont être les moyens transactionnels du passage de l’immatériel au concret, de l’imagination à la représentation.
Au travers d’eux, la facture d’une image va devenir plus importante que ce que l’image tente de véhiculer, car la matérialisation progressive d’une image finit par faire disparaître les intentions qui ont présidé à sa création pour en créer de nouvelles.
Toute image retrace avant tout l’histoire de sa propre facture.

L’utilisation à outrance des outils numériques de fabrication d’images industrielles a occulté l’existence des nombreuses manières de façonner une image.
Les réseaux sont venus accroître l’ignorance de cette diversité.
Nombreuses sont les personnes pour qui est «image» ce que l’on voit sur un écran.
Pourtant, ces mêmes personnes vivent au milieu d’images familières, de toutes sortes, d’objets décorés, de tissus brodés ou imprimés, de jarres, pots et autres récipients ornés de figures, peut-être même qu’ils ont chez eux quelques tableaux accrochés aux murs dont certains sont des reproductions, d’autres des gravures, des lithographies et d’autres des photos et même des livres illustrés.

Quiconque prétend créer une image ne peut pas ignorer la variété des supports de représentation.
Chacun d’eux implique un processus de création particulier, des gestes appropriés, des outils spécifiques lors de l’objectivation de la chose imaginée.
Créer une image, oui! Mais où ? Par terre ? Sur une feuille de papier ? Sur une toile ? Sur une faïence ? Sur un tissu ? Sur du verre ? Du bois ? Une pierre ? Sur la peau?
Bref, sur quel support ?
Puis, avant le passage à l’acte, viennent d’autres interrogations : désire-t-on créer une image unique ou une matrice destinée à être reproduite en un certain nombre d’exemplaires ?

Ceux et celles qui regardent une estampe d’Hiroshige (歌川広重) et qui croient voir en elle un simple dessin coloré ignorent les étapes laborieuses de sa facture. De même que pour une gravure de Mario Avati, façonnée à la manière noire, ou les magnifiques « disparates » de Francisco Goya réalisés à l’eau-forte et à l’aquatinte, retouchées à la pointe et au brunissoir, non pas sur les images elles-mêmes, mais sur les planches de métal situées en amont de leur existence.
Seul un regard éduqué voit, au-delà de l’image, le labeur qu’il a fallu mettre en oeuvre pour la réaliser.
Seul un regard éduqué voit, au-delà des choses.
Seul un regard éduqué voit l’autre côté des choses.

Voir l’autre côté des choses, c’est ce que celui ou celle qui entreprend de créer une image tente de faire en permanence durant cet étrange moment où la mémoire et les gestes hésitent entre l’imagination et la représentation, où chaque décision, où ce que l’ont croit en être une, ouvrent une multitude de chemins possibles qui suspendent les traits pour les remplacer par le doute.
Le chemin tracé par la première pulsion de créer, qui semblait si forte, s’affaiblit alors pour se perdre parfois dans le vague, d’autres dans le silence.

Quelle durée ont-ils, ces arrêts qui se produisent à chaque instant lors du façonnage de l’objet image ?
Aucune, car le temps du mystère de la création n’existe pas. Il est une abstraction, que ceux qui créent des images laissent à l’entrée du territoire de la matérialisation des figures.
Tout le long du cheminement qui conduit à leur représentation, la pensée zigzague, plus que d’habitude, entre le passé, le présent et le futur. Entre ce que l’on désirait faire, ce que l’on fait et ce qui adviendra.
C’est dans cet écheveau de sentiments et d’impressions hors du temps que réside l’inexplicable mystère de la création que les mouvements des gestes traduisent en traits, lignes et couleurs qui révèlent l’aspect visuel d’une volonté.