Le désastre dans lequel se trouve l’animation aujourd’hui est essentiellement dû à l’enseignement de cette non-discipline.
Commençons par le commencement, comme disent les universitaires (qui adorent écrire des textes à la première personne du pluriel).
Le mot « animation » signifie tellement de choses à la fois qu’il a fini par devenir un mot insensé.
De plus, flanquée du mot « cinéma », l’expression « cinéma d’animation » est devenue toxique.
Dans cet énoncé absurde, on trouve, pêle-mêle, un genre, une technique, un procédé, un phénomène, d’abondantes fonctions professionnelles et j’en passe.
Il fut un temps où tout cela se confondait sous l’appellation « dessins animés », ce qui était mieux puisqu’on comprenait immédiatement de quoi il s’agissait ; d’images en mouvement ou, si l’on préfère, des mouvements d’images.
À cette époque-là, ceux qui débutaient, apprenaient à faire des dessins animés avec des gens qui savait animer et dont le savoir pratique avait été acquis en découvrant par eux-mêmes et non pas en écoutant des professeurs et professeures, dépourvus d’expérience, mais bardés de théories et de diplômes.
Ces nouveaux snobs, par manque de discernement, aiment à confondre l’acte de faire des films avec le verbe « animer ».
Quant au cinéma, il est une plaie.
Comme le disait judicieusement Dziga Vertov :
Le cinéma dramatique est l’opium du peuple.
À bas les rois et les reines immortels du rideau.
Vive l’enregistrement des avant-gardes dans leur vie de tous les jours et dans leur travail !
À bas les scénarios-histoires de la bourgeoisie.
Vive la vie en elle-même !
Le cinéma dramatique est une arme meurtrière dans les mains des capitalistes ! Avec la pratique révolutionnaire au quotidien, nous reprendrons cette arme des mains de l’ennemi.
Les drames artistiques contemporains sont les restes de l’Ancien Monde.
C’est une tentative de mettre nos perspectives révolutionnaires à la sauce bourgeoise.
Un autre créateur qui ne faisait que des choses surprenantes, Norman McLaren, a dit un jour :
Animation is not the art of drawings-that-move but the art of movements-that-are-drawn. What happens between each frame is much more important that what exists on each frame. Animation is therefore the art of manipulating the invisible interstices that lie between frames.
L’animation n’est pas l’art des dessins qui bougent, mais l’art des mouvements qui sont dessinés. Ce qui se passe entre chaque image est beaucoup plus important que ce qui existe sur chaque image. L’animation est donc l’art de manipuler les interstices invisibles qui se trouvent entre les images.
Norman McLaren, qui était un génie, parle ici de l’essentiel, de la morphologie du vide et par là même de la morphologie du rythme, deux thèmes que je me suis promis de développer quand j’aurai le temps.
Cependant, pour enseigner la morphologie du vide, il faudrait avoir pratiqué quotidiennement la création de mouvements, tel que je le fais depuis plus de soixante ans.
Une autre plaie qui amplifie les effets du désastre dans lequel se trouve l’animation aujourd’hui est la compétition.
La compétition est un détestable concept masculiniste qui n’a aucune valeur, qui ne sert à rien, qui n’a jamais été ni la garantie ni un gage de qualité.
La compétition est une affaire de domination, qu’il s’agissent d’un ballon de foot, de la nature ou des êtres humains.
Je m’étonne que des femmes acceptent de jouer parfois à ce jeu-là.
Dans ses « Curiosités esthétiques » de 1868, Charles Baudelaire disait :
Il est une chose mille fois plus dangereuse que le bourgeois, c’est l’artiste bourgeois.
La mise en compétition de tout et de n’importe quoi engendre des concours bourgeois, de films bourgeois et, pire encore, des jurys bourgeois.
De nos jours, ces créatures qui osent juger le travail des autres sont toutes aussi tragiques que ceux qui font semblant d’enseigner l’animation dans les écoles et autres universités.
Ils sont devenus les censeurs professionnels du nouveau régime.
Eux aussi arborent des listes interminables de diplômes pour justifier l’absurdité de leurs décisions.
Peut-on sortir de cette tragédie ?
J’en doute.
Dans une société où tout le monde veut être le plus grand, le meilleur, le plus connu, le plus riche, le plus célèbre, il vaut mieux se tenir à l’écart et attendre patiemment que la fièvre tombe d’elle-même.